L’ARCHITECTE-
ARTISAN
MALGRÉ DES PROJETS À ÉCHELLE SOUVENT IMPORTANTE, L’AGENCE ENGASSER + ASSOCIÉS VEILLE À MAÎTRISER SON DÉVELOPPEMENT EN SE QUALIFIANT VOLONTIERS DE « LABORATOIRE ARTISANAL ».
Dessins Didier Ghislain
L’enquête et la fulgurance du dessin
Comme l’artisan, nous aimons les objets bien réalisés, les pièces uniques que nous réalisons de A à Z, jusque dans leurs plus petits détails.
Comme l’artisan, nous répondons avant tout à une commande. Notre travail est d’abord un long travail d’enquête pour connaître toutes les voix de chaque intervenant : le portefeuille du commanditaire, les natures de sol, le PLU, les normes, les bâtiments voisins et leur contexte, le programme et les usages attendus, les populations voisines et leurs fonctionnements.
Ces « données d’entrée » s’assemblent rapidement pour donner corps à des volumes architecturaux et des usages cohérents : l’enquête prend vite tournure avec une première prise de site et des orientations spatiales.
Parallèlement à ce temps d’assimilation des contraintes, on se plonge dans des univers très ouverts d’inspiration : certains murs de l’agence se transforment alors en cadavres exquis géants, faits de collages, d’images, de mots ou de dessins. C’est un peu la collection privée du projet, sa carte sensible. Puis arrive le moment de calme, celui de la fin de l’enquête : c’est alors que l’on repère le petit espace de liberté à explorer dans le faisceau des contraintes. Cet espace qui vaut tout l’or du monde parce qu’il permet d’exprimer la part sensible qui se cultive en permanence en nous et qui parle du site, comme en écho. C’est à ce stade que l’on résout l’énigme : l’esquisse du projet émerge alors en quelques dessins, réalisés à la main, très rapidement. Ces dessins sont un support essentiel : ils condensent de façon fulgurante à la fois le travail d’enquête et la part sensible du projet. Ils sont notre matière première de partage au sein de l’agence et de l’équipe de maîtrise d’œuvre.
Réalisation et dessins d’exécution
Comme l’artisan, l’architecte réalise son objet jusqu’au bout. Comment maîtriser autrement son métier ? Sans chantier, l’acte de construire reste théorique : les matières, les épaisseurs, les détails d’exécution alimentent le dessin. Les missions complètes ont été pour nous un combat, finalement victorieux. Heureusement. Avec les retours des chantiers successifs, le faisceau des contraintes s’étoffe : il faut alors s’extraire de l’obsession du détail pour rester à l’affût de la part de liberté et de sensible.
La matière brute ?
On utilise souvent une seule et unique matière ou texture dans nos projets : cela permet l’expression d’une forme forte.
La peau de nos bâtiments dépend d’abord du choix d’enveloppe thermique : isoler par l’extérieur ou par l’intérieur ?
L’isolation extérieure a ouvert un large choix de nouvelles vêtures, peaux et textures. Mais surtout, l’isolation extérieure rend la conception de la façade très indépendante de la conception intérieure. Les façades deviennent ainsi des surfaces libres, terrains de jeu plastique avec lequel nous aimons jouer : reflets du métal, peintures de finition et jeux de clins intéressants.
L’isolation intérieure, revenue sur scène avec la RT 2012, permet l’expression de matériaux de construction dans leur pleine masse – béton matricé, lasuré, brut – et d’une intériorité plus lisible depuis l’extérieur.
Chaque choix a ses qualités et le jeu avec la matière existe pour nous dans l’un ou l’autre exercice, avec des règles très différentes.
Mais c’est l’enjeu des matériaux sains auquel nous nous attelons en ce moment. Il y a une intuition à laquelle je me fie volontiers : ce qui est bon pour nous, humains, l’est également pour le vivant non humain. La matière qui peut être respirée et touchée sans dommage à court terme puis réutilisable ensuite est celle que l’on doit s’obliger à travailler désormais.
Réinventer la place de l’architecte-artisan
Bien construire a un coût. Et on s’en donne aujourd’hui rarement les moyens. Emparons-nous collectivement de l’économie de la construction : cela passe par une recomposition des rôles.
Le modèle du concours de conception-réalisation est en train de devenir dominant. L’entreprise de construction gagnerait à devenir un partenaire pour trouver l’allocation des ressources nécessaires à un beau projet.
Ce partenariat signifie, côté entreprise : une plus grande ouverture des bilans pour regarder les coûts d’un projet dans leur globalité : frais d’installation de chantier, frais de fonctionnement, marges, préfabrications… et identifier ainsi les postes d’économies possibles.
Côté architecte : travailler davantage l’économie des projets. L’architecte-économiste est en train de devenir une figure nécessaire pour que l’architecte garde un rôle de chef d’orchestre des projets.
Nous travaillons beaucoup avec promoteurs, industriels et entreprises générales pour mettre en place des procédés constructifs et stratégies de projets innovantes. Icade nous a ainsi demandé un travail de recherche pour mettre au point un cahier des charges de bureaux à forte performance énergétique et à coûts très maîtrisés. Nous dessinons, depuis un an, avec l’entreprise Sesar, des prototypes de logements conçus autour de gaines techniques industrialisées afin de réduire les durées de chantier et les coûts de construction. Enfin – 3e recherche sur ces sujets d’industrialisation et d’économie – nous travaillons dans le cadre du projet de Mouvaux à des formats industriels de réhabilitation très performante de patrimoine existant dans le cadre de nouveaux modèles économiques.