L’ARCHITECTE-
CISELEUR
L’ENVIRONNEMENT DOMINANT DOIT ÊTRE BÂTI POUR L’ÉCHELLE DU PIÉTON. CELUI-CI NE DOIT ÊTRE ÉCRASÉ NI EN HAUTEUR NI PAR UNE MONOTONIE HORIZONTALE. NOUS CHERCHONS À FRAGMENTER LES PAYSAGES QUE NOUS FABRIQUONS.
Images Didier Ghislain, Kaupunki et Stéphane Moya
Les barres et les tours comme point de départ
Nous nous construisons aussi par nos expériences… or nous avons souvent été amenés à intervenir dans des sites difficiles, de barres et de tours. Cela nous a conduits à observer et référencer les situations urbaines dans lesquelles les habitants semblent se sentir bien. Nous portons la conviction que l’environnement dominant doit être bâti pour l’échelle du piéton. Que celui-ci ne doit être écrasé ni en hauteur ni par une monotonie horizontale. Nous nous sommes largement reconnus dans l’ouvrage de Jan Gehl, Pour des villes à échelle humaine : il ose dire des évidences que nombre d’architectes n’assument pas, souvent par snobisme. Il réactive notamment la figure du piéton comme le juste étalon de fabrication des villes, indiquant par exemple, sur la base d’un travail fin de terrain, qu’une façade est vivante lorsqu’elle est cadencée verticalement tous les six mètres.
Fragmenter de mille et une manières
Nous cherchons à fragmenter les paysages que nous fabriquons. D’abord en évitant la figure de la barre : nous créons autant que possible des plots et non une barre. Puis, chaque plot est ensuite décomposé en micro-architecture.
La fragmentation s’exprime bien sûr d’autant plus facilement qu’elle reflète une diversité d’usages dans un même bâtiment. Ces « bâtiments hybrides » reviennent sur le devant de la scène avec une forte demande, notamment des collectivités, pour introduire une diversité d’usages au sein de secteurs à dominante résidentielle.
Nous n’avons pas attendu « Réinventer Paris » pour explorer ces formes hybrides si riches. Le projet de la Goutte-d’Or, rue Myrha, est une pépite hybride autour des musiques du monde regroupant, sur un millier de m2, à la fois un restaurant, des salles de répétition, des bureaux, des logements de résidence artistique et une salle de concert. C’est un casse-tête fonctionnel, mais quel plaisir de pouvoir donner à voir cette richesse programmatique ! La tri-maison a été l’une des premières recherches de l’agence, menée pour le bailleur de Reims le Foyer rémois : explorer de quelle façon une maison pouvait offrir une grande diversité d’usages possibles, depuis l’aide à domicile pour personnes âgées, à la « pièce en plus » pour travaux manuels, en passant par la chambre de l’adolescent-guitariste bruyant…
Mais lorsque cette diversité d’usages ne fait pas partie du programme, nous cherchons toujours à proposer des formes de fragmentation : c’est l’un des préalables nécessaires pour que les habitants s’approprient facilement un volume.
Intervenir en amont
Certains projets pourraient être bien meilleurs encore si nous avions pu travailler en amont avec la maîtrise d’ouvrage. Quand la fiche de lot, souvent très précise, est finalisée, les dés sont lancés et l’essentiel est joué. La question se résume trop souvent à : « Comment faire un projet acceptable en bourrant le site de la surface exigée ? »
Le moment charnière de conception est celui des premières faisabilités. Malheureusement, dans bien des cas, les pré-faisabilités sont peu payées, réalisées par des architectes qui les fabriquent à la chaîne.
Des fabrications alternatives émergent : les ateliers de conception à Clichy-Batignolles ou « Réinventer Paris », par exemple. Elles sont une brèche dans l’urbanisme prescriptif de la fiche de lot. Ce sont des directions à explorer en effet, quitte à passer plus de temps en amont dans un dialogue précieux maîtrise d’ouvrage – maîtrise d’œuvre de définition des grandes orientations du projet.
Humaniser la densité
Ceci étant, quelles que soient les méthodes de fabrication du projet, l’impératif de densité demeurera car il répond à une contrainte économique de plus en plus forte. Dans ce cas, fragmenter les volumes, ciseler les formes, sortir des épannelages monolithiques nous semblent être les seules voies pour humaniser cette densité.